voeux intranquilles-de camille-etienne
Entre lucidité et espérance....
video : avec le texte : https://www.mediapart.fr/journal/france/311223/les-voeux-intranquilles-de-camille-etienne
extraits
L’année qui s’achève ressemble à une longue nuit interminable. Mais de l’obscurité, vous avez fait jaillir des éclats.
Le dérèglement climatique et l’effondrement de la vie sur terre sont d’origine humaine. En sortir aussi. (…)
En 2023, plus de 2 500 hommes, femmes et enfants sont morts ou disparus en Méditerranée, c’est 50 % de plus que l’année dernière…. notre digne humanité prend la tasse. En regardant ailleurs pendant que les corps se noient, nous échouons au plus élémentaire test moral : celui de reconnaître un frère, une sœur…... Parce qu’« il n’y a pas d’étrangers sur cette Terre », comme le dit La Cimade, il nous faudra refuser cette direction raccourcie du repli sur soi et de l’obéissance aux fantasmes haineux. (…)
Parce que cette année restera à jamais celle où il y a eu le 7 octobre. Les otages et les images de leurs proches qui arrivaient sur nos écrans, leurs regards et leurs visages que la douleur et la peur avaient dévorés.
Il y a eu le 7 et puis le 8, le 9, le 10, les bombes, les cris, puis l’absence de cris. L’absence de pleurs est pire que les pleurs, la destruction faisait trop de bruit pour qui voulait faire semblant de ne pas l’entendre.
Il y a dix ans, à ma place, Ariane Mnouchkine commençait ainsi ses vœux : « Je vous souhaite d’être heureux. » .. Je vous souhaite d’être heureux, mais en a-t-on encore le droit ? Dix ans après, en 2023, est-ce bien acceptable, est-ce bien correct de vous souhaiter d’être heureux ?
Une fille de mon âge, pour peu qu’elle soit née à Gaza, au Congo, au Yémen, ne pourrait s’autoriser une pensée aussi large qu’une année, quand une simple nuit n’est pas certaine d’advenir.
Alors n’est-il pas trop injuste d’être joyeux ? Sans se laisser rattraper par la coupable crainte que nos rires deviennent indécents, notre joie insultante, nos rires, un privilège ?
Alors, j’ose vous souhaiter d’être heureux. (...)
Je vous souhaite surtout du panache, de l’impertinence et de la dignité. Je vous souhaite de ne pas être d’accord, de rencontrer ceux qui ne sont pas d’accord avec vous, d’y passer du temps, du vrai, en dehors des écrans. Je vous souhaite de vous réconcilier avec les âmes grises, je vous souhaite de vous oublier un peu, d’avoir l’irrésistible envie de penser plus grand que soi, de ne pas prévoir l’avenir mais de le rendre possible. (…)
Et surtout, disons à nos enfants qu’ils arrivent sur terre presque « au début d’une histoire et non pas à sa fin désenchantée, disait encore à ma place Ariane Mnouchkine il y a dix ans, et qu’ils en seront non les rouages muets mais, au contraire, les inévitables auteurs ».
Je vous souhaite donc, pour cette année à venir, d’oser étonner la catastrophe. Nous pourrions être surpris.
Et si l’on échoue, l’année suivante se souviendra que nous avons fait ce qui était juste.